ARLETTE
LE MORE
De la couleur et
encore de la couleur. Avec Arlette Le More, la couleur coule à flots,
elle est la joie, la lumière, dans le tableau. Elle inonde le regard,
imposant avec force sa présence et déterminant l'œuvre par le détail
et par son ensemble. Elle est comme ces morceaux de musique dans lesquels,
pour une même symphonie, chaque instrument se fait puissamment entendre,
tel un vibrant coup de cymbale, un triangle au son clair et qui se
perpétue lorsque l'effleure la règle, ou un solo de trompette qui de sa
voix hurlante crie le bonheur de vivre. Tous, quels qu'ils soient, tout en
jouant une partition identique, sous les ordres d'un même chef
d'orchestre, chacun des instruments, ou chaque touche et chaque volume en
peinture, garderont leur éclairage, leur personnalité, et leur couleur.
Certes, un bleu, un jaune, un orangé, sera un des tons dominants,
variable pour chaque toile, et depuis lequel Arlette Le More va introduire
différentes variantes chargées de marquer la configuration des
personnages, comme de leur environnement. Mais cette accentuation visuelle
va se trouver renforcée, égayée et principalement : harmonisée, grâce
au professionnalisme qu'Arlette Le More exerce depuis son enfance. Elle va
réunir en bouquet les instruments épars de l'Art du Coloriste, pour
construire une oeuvre de lumière.
Christian Germak
ARTS ACTUALITES MAGAZINE
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Indispensable formation
L'académie, les Beaux-arts... Est-ce un canal
obligé pour tout artiste qui veut percer un jour ou l'autre? Ou bien les
autodidactes ont-ils eux aussi leurs chances?
L'École des Beaux-arts est actuellement menacée. Pour ma part, je la
défends autant que je peux, car elle dispense une véritable formation.
On y apprend le métier. On s'y confronte aux autres ainsi qu'aux thèmes
imposés. Elle offre en outre la possibilité d'un certain compagnonnage
et la mise à disposition d'un atelier pour travailler.
Pour le reste, à savoir le talent, on le possède ou on ne le possède
pas. Et c'est précisément le rôle de l'École ou autres établissements
similaires de révéler les ressources que recèle chaque artiste en
puissance.
Les autodidactes ne peuvent bénéficier d'un tel privilège et de cet
ensemble d'informations.
D'où les plus grandes difficultés qu'ils rencontrent sans doute pour
évoluer au cours de leur existence de peintres.
Mais ce ne sont là que des généralités et l'histoire de l'Art regorge
d'exemples contraires...
Si le génie n'a pas-ou peu- droit à la
spontanéité, le Beau ne serait-il donc qu'une réalité consensuelle,
voire une convention de langage?
Je pense en effet. Le Beau correspond pour moi à une réalité que
mon voisin de palier voit et interprète sans doute d'une tout autre
manière.
Où est la laideur? Où est la beauté? Où est le vrai?
Des normes sont admises et servent de références. Il ne faut donc pas
avoir peur d'un certain académisme, de la "chose" apprise.
C'est une grossière erreur d'imaginer que l'on ne doive faire confiance
qu'à l'instinct. Il faut d'abord apprendre à voir, à regarder.
Le plus grand service que l'on puisse rendre à quiconque veut s'orienter
vers une technique d'art plastique, c'est en effet de lui apprendre à
décortiquer ce qu'il voit, à analyser, à rechercher la synthèse. Cette
chimie interne à l'artiste est la base d'une véritable culture.
Suivre la mode n'a
à mes yeux aucun sens
Toute expression artistique s'inscrit-elle dans une
histoire? L'artiste se définit-il aussi par rapport aux autres?
Même si l'on peut entretenir des nostalgies ou de l'admiration pour
tel ou tel maître à penser, on est toujours tributaire de l'époque dans
laquelle on vit. Notre monde est constitué d'images que nous partageons
tous et dont nous nous imprégnons.
Quant à savoir si je suis libre de m'exprimer comme je l'entends, sans
être tributaire du goût du jour, il est évident que, comme tout
artiste, je suis écartelée entre ce que je voudrais réaliser et ce que
je puis réaliser aujourd'hui. La prospective est le propre de l'artiste.
Mais aller contre mon gré dans le sens de la modernité, dans le sens du
vent? Non! Cent fois non! Suivre la mode n'a à mes yeux aucun sens.
Tout artiste, toutefois, souhaite plus ou moins
consciemment inscrire son nom dans l'histoire de l'Art?
Tout dépend des ambitions personnelles...
Il me semble en réalité que les artistes-femmes sont beaucoup moins
soucieuses que leurs homologues masculins de la place qu'elles occupent ou
occuperont dans cette histoire de l'Art. Les hommes pensent à la
postérité. Les femmes, peu! Pour moi, la liberté est à ce prix. Je
suis intéressée par le spectacle de la vie. J'essaie d'y participer avec
les moyens qui sont miens. Point final! Je suis totalement accaparée par
l'acte de peindre. Le reste m'importe peu...
Et pourtant, dans la grande communauté que forment
les artistes, la concurrence
est grande : il faut vendre, se placer ... Et chacun se retrouve seul.
Il faut ramer pour soi tout d'abord!
Bien sûr! Un artiste est plus ou moins armé pour assumer la charge
promotionnelle de son talent.
Il se peut qu'il cherche à vendre tout de suite le fruit de son travail.
Pour ce faire, il ira au plus facile et produira ce que le public attend
dans l'immédiat. Je pense toutefois que la vocation de l'artiste ne se
limite pas à cette immédiateté. Même s'il ne rencontre pas un rapide
succès, même s'il ne figure pas au Top 50, un artiste véritable
poursuivra sa démarche, dans le sens de l'écriture qu'il croit être la
sienne ...quoi qu'il en coûte.
Il n'en demeure pas moins vrai que la reconnaissance -fût-elle minime- est
indispensable au créateur. On a besoin d'être écouté, apprécié,
aimé...
Deux constantes :
la couleur et le rythme
Votre peinture, celle que vous pratiquez
actuellement, est certainement le fruit d'une évolution personnelle. De
quelles influences vous réclamez-vous?
Certains professeurs de mes débuts m'ont fortement influencée. Ils
étaient aux-même passionnés de Jacques Villon et gravitaient autour de
ce maître. Ils représentent à mes yeux l'évolution et l'aboutissement
de l'École française et, en particulier, de la peinture
post-cézanienne.
Puis, mon cheminement s'est affirmé. Mon style s'est précisé autour de
deux dominantes : la couleur et le rythme. La couleur, c'est la vie. Le
rythme est une pulsion qui vous habite en permanence. Même lorsque je
cherche à réaliser des toiles plus sages, plus tranquilles, je suis
comme malgré moi emportée par ces deux constantes.
Dois-je reconnaître que je les subis? En tout cas, elles s'imposent à
moi au point que leur absence dans une toile me mettrait maintenant mal à
l'aise.
Quels sont les événements, les spectacles, les
situations dont vous vous inspirez dans votre peinture?
Il m'est tout d'abord facile d'énumérer ce qui ne m'inspire pas
directement.
Comme tout un chacun, je suis sensible à un beau coucher de soleil, au
spectacle d'une montagne enneigée. Mais ces cartes postales ne
représentent pas pour moi un sujet de peinture.
De même pour certains thèmes plus intimistes comme la maternité (et
pourtant, je suis mère et grand-mère!) ou les enfants... sans doute
parce que je respecte trop cette sphère personnelle et qu'il m'est
difficile de l'aborder.
Vous constaterez qu'actuellement, certaines de mes
toiles sont issues de milieux culturels que j'ai pu côtoyer, comme l'Égypte,
le Maroc, la Grèce... Mais je n'en fais jamais état en termes de
folklore ou de pittoresque. J'aime les compositions qui, tout en étant
tournées vers une certaine mythologie, sont le fruit de mon imagination.
Héritage sans aucun doute des aînés...
Tout artiste
est un voyeur
Vous autres artistes avez une "mécanique"
intérieure difficile à cerner pour les profanes que nous sommes!
Quand je me promène, j'ai toujours sur moi des carnets de notes que
je crayonne à la moindre occasion pour m'approprier ce que je vois et
observe.
Un artiste est, par définition, un "voyeur". Il reconstruit en
permanence l'univers dans lequel il vit. Il le re-crée... La peinture est
d'abord un acte "mental".
Plus que des éléments figuratifs, je retiens pour ma part des
impressions de rythmes, d'assemblages et harmonies de couleurs. S'il
m'arrive par exemple d'introduire, comme cela s'est produit, un drapeau
sur une toile, je n'y vois aucunement le symbole d'une idéologie. Ce
n'est pour moi qu'un prétexte, un motif de coloration, un rassemblement
de points forts, une confrontation de tons...
Qu'est-ce que l'inspiration pour un artiste? Comment
vous mettez-vous en condition de peindre?
Je m'installe à mon chevalet comme d'autres se rendent à leur bureau.
L'inspiration est un bien grand mot, très souvent illusoire. Certes, je
rencontre comme tout artiste des périodes plus propices à la création.
Mais il me faut aussi avoir souvent recours à mes carnets de notes.
Certaines échéances sont à respecter : une commande à honorer, un
salon qui approche, un marchand qui vient s'approvisionner...
Il faut alors "produire" dans les délais imposés. C'est le
côté un peu triste mais inévitable de notre métier!
Privilège de l'artiste
Dans la vie courante, le langage est souvent
trompeur, imprécis. Ou bien il se dérobe et l'on n'arrive pas à
expulser de son tréfonds ce que l'on souhaiterait dire ...Grâce à son
mode d'expression, l'artiste est en somme un privilégié...
Pour sûr! La peinture, comme toute autre autre expression artistique,
est un immense privilège.
Le registre que nous utilisons est illimité, puisque nous passons
aisément de l'art conceptuel à l'art hyper-réaliste.
La peinture fait appel à des ressorts très simples. Elle est fondée sur
une exigence plastique, qui se complexifie par la suite dès qu'elle se
greffe sur la vie. Mais elle est porteuse de toute une gamme des émotions
qui peuvent naître dans le cœur humain.
Même s'il vous faut vous bagarrer en permanence avec la matière, avec
le matériau que vous utilisez?
Il arrive en effet que nous soyons confrontés à des effets
proprement insupportables dès qu'ils sont mis à plat, que ce soit dans
le format, la dimension ou le rapport des tons entre eux. Alors je rature!
Par contre, j'ai "sorti", il y a quelques années de cela, une
toile intitulée "Féminité". Dès qu'elle fut terminée, je me
suis demandée si je ne l'avais pas déjà vue quelque part? Mais où? Et
quand?
Où est, dans tout cela, la part de la vérité et celle du rêve?
Fignolez-vous la définition de vos couleurs?
Peindre un beau vert - ou toute autre couleur- , y revenir sans cesse,
le moduler, le reprendre, le vernir pour obtenir le ton idéal ...Non! Ce
n'est pas ma préoccupation principale...
Pour moi, une couleur n'existe que parce qu'elle est juxtaposée à une
autre couleur. Un vert n'a de présence et de réelle consistance que
parce qu'il est placé à côté d'un jaune ou d'un rouge...
Amour, joie, autonomie
Si, en plus de votre palette de peintre, vous
disposiez d'un dictionnaire composé de seulement trois mots, lesquels
choisiriez vous?
Sans hésiter : Amour et Joie. C'est le résumé de toute
vie ...de la
mienne pour le moins.
Et le troisième mot?
Peut-être : Autonomie ...ne serait-ce que pour donner libre cours au
dynamisme qui m'anime et dans lequel je me reconnais totalement.
Il se dégage en effet de votre personne un tonus évident
Certains artistes nourrissent leurs oeuvres de toutes leurs angoisses.
De fait, le drame et le tourment sont des sources de l'art.
Personnellement, par tempérament, je suis plutôt gaie,
"positive". Le sérieux n'est pas nécessairement triste!
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S'il y a des expositions de
peinture à ne pas manquer, celle que propose l'association Peintres en
Champagne à la galerie Clémangis, à Châlons-sur-Marne, du 16 au 31
mars, en est une. Avec la présence d'Arlette Le More, c'est la nouvelle
école de Paris qui s'installe en province.
De petite taille, Arlette Le More n'en est pas moins
une très grande artiste de notre temps. Avec magie, elle joue avec les
traits et la couleur. Sa palette est impressionnante. Elle peint la joie de vivre avec un rythme et des tons vifs qui marquent une
ambiance de bonheur total.
Sa peinture est à la frontière du figuratif et de
l'abstrait, marquant une évolution classique n'est donc pas un obstacle
à cette recherche constante d'aller encore plus loin dans son écriture.
"J'ai une formation classique et je suis sculpteur
d'origine." Après avoir fréquenté l'école nationale supérieure
des Beaux-arts, l'atelier de sculpture d'art monumental Alfred Janniot, l'académie Julian, sa technique est fabuleuse.
Son trait est bien celui d'un artiste qui a été
sculpteur. Le mouvement est toujours présent. Ses paysages comme ses scènes sont remplis de vie. "Dans la
peinture, ce qui est intéressant est la recréation de la réalité. La
vraie créativité est de recréer un univers. C'est le contraire de
l'académisme qui est quelque chose de convenu, même pour l'art
abstrait."
Mode
Arlette Le More n'est pas
issue d'un milieu artistique. Pourtant, dès l'âge de 16 ans, elle
dessine la mode. "Je touchais à tout. Plus tard, on se révèle et
les gens vous guident." La "barbouille" la démangeait.
Alors, elle a décidé de devenir peintre, d'exprimer sa joie de vivre
avec une seule manière de communiquer, la peinture.
Une formation, des rencontres, des années et des
années de recherche et de travail, Arlette Le More s'est forgé une
personnalité. "J'ai une écriture personnelle mais j'ai des
héritages. Cependant je ne peux pas m'échapper du figuratif même si
l'abstrait me titille. Pour s'exprimer au niveau pictural, il faut de
l'héritage intellectuel, même dans la non-figuration."
Pour Arlette Le More, la matière a peu d'importance.
C'est la couleur, l'expression qui sont mes priorités. La matière,
ensuite, vient toute seule." Les toiles de l'artiste parisienne
étonnent par leur équilibre, les couleurs toujours présentes et des
formes suggérées avec force. Sa peinture se lit avec facilité.
L'art d'Arlette Le More est reconnu. Elle ne compte
plus ses expositions personnelles, ses participations aux expositions de
groupes. Membre du Groupe 109 notamment, elle a présenté ses oeuvres
dans les plus grands salons parisiens. Elle a reçu aussi plus de vingt
prix et médailles de peinture et de dessin.
Denis BARBIER
L'UNION
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